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Belgique: la restitution du patrimoine africain en débat

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Par
Sabine Cessou

Publié le 04-11-2018
Modifié le 04-11-2018 à 18:59

Que faire des objets pillés durant l’époque coloniale et consacrés œuvres d’art dans les musées d’Europe ? La question ne se pose pas qu’en France, où un rapport doit être rendu en novembre par l’essayiste sénégalais Felwine Sarr et l’historienne de l’art Bénédicte Savoy au président Macron. En Belgique, le débat précède la réouverture en décembre du Musée royal d’Afrique centrale, et porte aussi bien sur des objets, des archives que des restes humains.

Dans une lettre ouverte publiée le 25 septembre, 36 personnalités des mondes artistique, universitaire et associatif, en majorité Afro-descendantes, ont dénoncé une « Belgique à la traîne sur la restitution des trésors coloniaux » par rapport à la France, l’Allemagne et le Canada.

Le gouvernement a-t-il une position sur la question ? Au détour d’une dépêche de l’agence Belga, l’actuel ministre de la Coopération, Alexander De Croo, se dit prêt à en discuter avec les autorités et les directeurs de musées, mais aussi les experts des pays concernés. Un premier jalon a d’ailleurs été posé avec le « renvoi » au Rwanda des archives de la période coloniale, annoncé fin septembre. Une enveloppe de 400 000 euros a été prévue par le ministère de la Coopération, pour un projet de numérisation des archives royales et de celles du Musée royal d’Afrique centrale ayant trait à cette ancienne colonie belge. Il débutera en 2019 avec la visite d’une délégation d’archivistes rwandais qui définiront leurs priorités.

Un sujet qui monte

Dans une autre tribune, parue le 17 octobre, une trentaine de scientifiques, dont certains travaillent au Musée royal d’Afrique centrale, ont demandé un dialogue transparent qui « doit l’emporter sur le paternalisme ». Ils se refusent à des manœuvres qui consisteraient à noyer le poisson : « Il faut que l’on admette que la restitution concerne principalement la restitution physique d’objets de musée. La numérisation, les prêts et les expositions itinérantes sont également importants, mais ne doivent pas détourner l’attention du cœur du débat. »

Autre première en Belgique : un débat « participatif » intitulé « Restitution des biens culturels africains : question morale ou juridique ? » s’est tenu le 16 octobre au Parlement francophone bruxellois, sous la double houlette des présidentes de cette assemblée et de l’association Belgian Afro-Descendants Muntu Comittee (BAMKO-CRAN).

Ce débat, abrité par les 72 élus francophones sur les 89 que compte le Parlement de la région Bruxelles-Capitale, devrait être suivi d’effet : la constitution d’un groupe d’experts est prévue, de même qu’une résolution, destinée à être partagée avec les autres Parlements du pays. Il s’agira de proposer des amendements à la loi, pour aller vers des restitutions concrètes.

Campagne de restitution volontaire

En attendant que ce processus fasse son chemin, BAMKO-CRAN invite les particuliers à rendre les objets africains en leur possession, même s’il s’agit de vieux tams-tams ou de lances rapportées par leurs oncles du Congo. Cette campagne de restitution volontaire, qui va « permettre aux familles de donner l’exemple aux musées », verra les objets transiter de BAMKO-CRAN vers le Forum international des souverains et leaders traditionnels africains, chargé de retrouver les villages, familles et lignées d’où viennent les objets   et quand c’est impossible, de les rendre à des musées africains.

Les discussions en Belgique portent sur trois sujets bien différents, mais entremêlés : archives coloniales, restes humains et objets. Michel Bouffioux, journaliste de Paris-Match Belgique, a révélé en mai dernier la présence de 300 crânes, ossements et fœtus conservés dans le formol, provenant principalement du Congo, à l’Institut royal des sciences naturelles de Belgique. Le journaliste dénonce les crimes commis par le militaire belge Émile Storms, tels que la décapitation du chef Lusinga, en 1884, dont le crâne rapporté en Belgique comme trophée n’a pas été rendu au Congo. Les questions juridiques autour de ces dépouilles restent d’ailleurs posées.

114 pièces rendues au Zaïre de Mobutu

Sur la question des œuvres, le Musée royal d’Afrique centrale de Tervuren se veut « ouvert » au débat. Il explique dans un petit vade-mecum en ligne sur les « mythes et tabous » qui lui sont liés : « La présence de collections africaines à Tervuren mène inévitablement à la question du retour d’objets aux pays d’origine. (…) L’État belge, propriétaire légal des collections de l’AfricaMuseum, a transféré des objets, notamment entre 1976 et 1982. Lors de cette période, 114 pièces ethnographiques ont quitté le Musée royal de l’Afrique centrale pour l’Institut des musées nationaux du Zaïre à Kinshasa. Environ 600 objets ont également été transférés au Musée national du Rwanda à Butare. » En outre, Tervuren a remis en 2010 à ses trois anciennes colonies africaines, Congo, Rwanda et Burundi, la version digitale des films coloniaux les concernant.

L’essentiel du fonds colossal du Musée, où figurent entre autres 180 000 objets ethnographiques et 8 000 instruments de musique, n’en reste pas moins à Bruxelles. « Tout se passe en Belgique comme s’il fallait tout faire pour éviter de perdre la face par rapport à la question coloniale, analyse Mireille Tsheusi-Robert. Contester le Musée royal de Tervuren, l’histoire coloniale de la Belgique ou son influence actuelle sur le Congo, c’est toucher à des motifs de fierté nationale et à la vitrine internationale du pays. »

« Tout ça ne nous rendra pas le Congo »

En témoigne, par exemple, l’expression « Tout ça ne nous rendra pas le Congo », courante et utilisée à tout propos, au point d’avoir donné son titre à une émission de télévision traitant de faits de société généraux sur la RTBF. Elle évoque un fantasme de restitution d’une grandeur passée à l’exact opposé de ce que revendiquent les Afro-descendants à propos des biens culturels. Ce travers de la « vantardise coloniale » est d’ailleurs pointé par de nombreux experts, parmi lesquels l’historien belge David Van Reybrouck, auteur de Congo, une histoire (Actes Sud, 2012).

« De ce point de vue, le Musée royal d’Afrique centrale est mal utilisé », poursuit Mireille Tsheusi-Robert. La secrétaire d’État à l’Égalité des chances Zuhal Demir y envoie par exemple des jeunes qui ont chanté en août « Couper des mains, le Congo est à nous » lors du festival  Pukkelpop, où ils s’en sont pris à deux jeunes filles noires. L’objectif : « qu’ils prennent conscience des faits horribles commis durant la colonisation », selon la secrétaire d’État. « Et ce, alors que le musée n’est pas décolonisé ! », s’exclame la présidente de BAMKO-CRAN.

Le débat sur la restitution s’inscrit comme en France dans un contexte plus général de « décolonisation » des anciennes métropoles coloniales, et de dénonciation des expressions les plus flagrantes du racisme qui en est issu.

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