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Les Nations unies publient ce vendredi à Genève un rapport sur les violences perpétrées en République Démocratique du Congo (RDC) entre 1993 et 2003. Un document sans précédent, premier pas contre l’impunité dans cette région martyre de l’Afrique.


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Par LIONEL HEALING (ONU)

Une simple fuite aura suffi à mettre le feu aux poudres. La diffusion en août d’un projet de rapport de l’ONU sur la RDC a provoqué la colère du régime rwandais, ainsi qu’un vif débat au sein de la communauté internationale. La sortie, initialement prévue le 1er septembre, se voit repoussée au 1er octobre, le temps pour les “Etats concernés” de livrer des commentaires qui seront ajoutés au document. Dans ce pavé de plus de 500 pages, 617 violations graves ayant fait des dizaines de milliers de morts entre 1993 et 2003 sont répertoriées. Le texte accuse notamment l’armée rwandaise de “nombreux actes de violence graves commis à l’encontre des Hutu en 1996 et 1997”. Des Hutu qui s’étaient réfugiés au Congo, après l’arrivée au pouvoir en 1994 à Kigali de la rébellion du Front patriotique rwandais (FPR).  

Si la sortie de ce rapport très attendu suscite l’inquiétude d’un certain nombre de pays impliqués, elle réconforte les défenseurs des droits de l’homme qui militent depuis des années pour que justice soit faite. L’un d’entre eux, Didier Mwati, a vécu le drame de l’intérieur. Président du Collectif d’actions pour le développement des Droits de l’Homme au Congo (CADDHOM), il figurait en tête de liste des personnes recherchées par le Rwanda lorsqu’il a fui le pays, en 1998.  

Le rapport de l’ONU sur la RDC sort enfin dans sa version finale. A quel accueil faut-il s’attendre au sein de la communauté internationale?

Je sais que ce document va gêner beaucoup de monde. Bien sur le Rwanda et son président Paul Kagame, mais aussi l’Ouganda, le Burundi et également la République démocratique du Congo (RDC). Si les gens pensent que le rapport ne concerne que Kagame, ils se trompent, car celui-ci n’a pas travaillé seul. Des Congolais ont participé, même si la commission a pris en compte la période 1993-2003. C’est d’ailleurs entre 1996 et 2003 que la plupart des crimes ont été commis. Il y a eu une concertation entre le Rwanda, le Burundi, l’Ouganda, la RDC et l’Angola. Ces pays souhaitent faire au moins “cause commune” au moment de la sortie du rapport. Ce document s’avère aussi embarrassant hors d’Afrique. Les Etats Unis ont notamment financé et armé l’armée du Rwanda à l’époque.  

Le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, s’est rendu au Rwanda le 8 septembre pour apaiser Kigali. Malgré son appel au calme, Paul Kagame a évoqué un retrait de ses troupes engagées au sein de la mission conjointe Union Africaine – Nations unies (MINUAD). Selon vous, s’agit-il d’une menace qu’il peut mettre à exécution?

Kagame met la pression sur les Nations unies. Mais on peut penser qu’il s’agit d’un chantage. Car le chef d’Etat rwandais a beaucoup à perdre. Depuis que ses troupes ont quitté la RDC, il a un sévère problème avec ses officiers. Un grand nombre d’entre eux ont été envoyé en mission ou en campagne. C’est d’ailleurs pour cela qu’ils étaient au Burundi. L’ONU ne sait pas qu’elle lui rend service. Car si ces militaires rentrent à Kigali, ils n’auront pas de travail, tandis que dans l’armée il y aura toujours de la place.  

Le rapport dénoncerait des exactions constitutives d’un génocide, commis pendant la première guerre en RDC, à l’encontre des Hutu rwandais réfugiés dans l’est du pays. Accusation incontestable selon vous?

Oui. J’ai toujours avancé l’idée qu’il y avait eu un massacre des Tutsi, puis des Hutu. Tout le monde a massacré tout le monde. Des Hutu ont même massacré des Hutu qui étaient des opposants au régime de Kagame. Nous sommes convaincus qu’il s’agit aussi d’un génocide, car les opérations étaient planifiées depuis longtemps. Selon la définition exacte, le génocide est établi dès que “des crimes ou des massacres ont été planifiés, exécutés, dans le but d’exterminer un groupe social donné”. Or, on sait de la bouche de Kagame qu’ il avait planifié l’attaque des camps Hutu réfugiés au Congo afin de les exterminer. C’est un génocide pur et simple, sauf si on change de définition.  

Peut-on désormais espérer un chapitre judiciaire?

C’est compliqué. J’explique dans mon livre (1) que nous avons cru, lorsque la communauté internationale a créé la Cour pénale internationale (CPI) en 2002, qu’elle pourrait tout juger. Mais on a compris par la suite que ses enquêtes ne peuvent être rétroactives. On a donc demandé l’ouverture d’un tribunal pénal international. Nous avons sollicité le soutien des Etats-Unis, qui sont une grande puissance. Sauf qu’ils sont impliqués pour avoir armé et financé l’Armée patriotique rwandaise (APA). Ils ont également utilisé leur droit de veto en 1994, quand il fallait envoyer des troupes des Nations unies pour arrêter le génocide qui avait commencé. Tout cela les met mal à l’aise. Même si Barack Obama, fait preuve de bonne volonté, il y a des lobbies qui pestent dans l’ombre. D’autant que son actuelle secrétaire d’Etat, Hillary Clinton, était première dame lors du veto en 1994. C’est compliqué pour eux d’accepter. Mais nous avons quand même fait pression pour qu’il y ait un tribunal avec des magistrats congolais.  

Les autorités congolaises ont-elles la capacité de superviser des poursuites?

C’est impossible, car pour qu’il y ait une justice solide et efficace, il faut avant tout poursuivre Kagame et plusieurs hauts dignitaires. Or le système judiciaire congolais n’a pas d’argent, et il est contrôlé par un pouvoir politique gangrené.  

Quel regard portez-vous sur l’attitude du président congolais Joseph Kabila? Dans un premier temps, il a autorisé la commission d’enquête sur son territoire puis il a assisté à l’investiture de Kagame.

Durant une interview accordé en 2001 au quotidien belge Le Soir, Kabila a déclaré: “Je sais que ce sont les Rwandais les assassins. Lorsque j’étais avec eux, j’ai compris qu’un jour ils se retourneraient contre nous”. Aujourd’hui, il ne veut pas commenter ces propos. Je crois qu’il est coincé par la politique, qui évolue. En ce moment, il tient à établir une relation de bon voisinage avec le Rwanda. Toute la difficulté est là. Même s’il souhaite un tribunal international, il est coincé. Car lui-même aurait du souci à se faire.  

(1) “RDC : 13 ans sous la main du diable. De l’AFDL de L. D. Kabila au CNDP de Nkundabatware” par Didier Mwati, aux éditions Edilivre.