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Lambert Mende répond à Linda Thomas-Greenfield


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Lambert-Mende-Lambert Mende Omalanga est ministre des Médias et porte-parole du gouvernement de la RDC.

On parle beaucoup de la révision constitutionnelle. La controverse bat son plein à Kinshasa et dans quelques autres pays africains. Aux interrogations légitimes des uns sur l’architecture institutionnelle en gestation en RDC se juxtaposent des considérations plus ou moins triviales des autres. Des ténors de la communauté internationale s’invitent régulièrement dans ce débat. C’est le cas de madame Linda Thomas-Greenfield, sous secrétaire d’Etat US aux Affaires africaines, auteure d’une tribune comminatoire intitulée “Deux mandats et puis s’en va” parue chez Jeune Afrique (N° 2804 du 5 au 11 octobre 2014).

Elle y disserte sur quelques préceptes de son cru qui seraient le secret du bonheur sous nos tropiques africaines. C’est un sondage de l’Afrobaromètre, un think tank américain, qui lui sert de soubassement pour marteler sa conviction : tout pays dont la constitution permettrait à un dirigeant de se présenter aux élections plus de deux fois consécutivement vit sous un régime dictatorial à parti unique dans lequel des élections libres sont impossibles. On ne voit pas autrement la corrélation entre ses statistiques et les limites au nombre des mandats présidentiels qui sont au cœur de son plaidoyer. Jusqu’à cette révélation, on ignorait que l’Allemagne où la chancelière Angela Merkel, au pouvoir depuis 2005, a entamé un troisième mandat en 2013, le Luxembourg de Jean-Claude Juncker, Premier ministre de 1995 à 2013 (18 ans) et la Bolivie du président socialiste Evo Morales qui vient de se faire réélire pour un troisième mandat consécutif, vivaient sous la coupe de partis uniques et que les élections qui s’y tiennent ne méritent pas le label “libres et justes”…

Sur son site web, Afrobaromètre, l’auteur du sondage que Thomas-Greenfield considère comme “une véritable référence d’enquêtes d’opinion indépendantes sur le continent” signale qu’il ne travaille que dans 27 pays africains. Constat : hormis l’Ouganda, les impressions et conclusions du sondage brandi par Thomas-Greenfield comme reflétant “les opinions bien réelles de millions de personnes” n’ont pas été recueillies dans les pays africains concernés par cette problématique. Personne au Rwanda, au Burkina Faso, au Burundi, en RDC et au Congo Brazzaville n’a vu ni entendu quoi que ce soit sur l’enquête de l’Afrobaromètre qui apparaît à l’analyse comme un tour de passe-passe de communicants professionnels. Rien de “fair and balanced” (juste et équilibré).

Linda Thomas-Greenfield aurait pu avertir les lecteurs qu’en l’espèce elle avait procédé par extrapolation. Son insistance sur la nécessité de respecter la constitution est certes louable mais on ne voit pas bien ce qui justifierait une interdiction aux Africains de réviser leurs constitutions. Il n’est pas intellectuellement honnête d’affirmer que la possibilité pour un dirigeant de solliciter plus de deux mandats électoraux serait assimilable ipso facto à l’avènement d’un système non démocratique. Les Africains n’ont pas à plier devant cette lourde tendance qui fait si peu cas de leur autodétermination. Un sondage n’a pas vocation à se substituer à des scrutins organisés conformément aux textes constitutionnels en vigueur. Si l’on accepte l’assertion terrible selon laquelle modifier la Constitution c’est servir les intérêts d’un seul homme, il faudrait dès à présent arrêter le temps et l’histoire et s’abstenir de toucher sous quelque condition que ce soit à ce dogme immuable que deviendraient les constitutions partout et pas seulement en Afrique.

La démocratie en Afrique n’est pas une denrée d’importation.

La démocratie en Afrique n’est pas une denrée d’importation dont le distributeur assure le service après-vente. Au Congo-Kinshasa, la volonté interne de démocratiser les institutions ne s’est jamais démentie depuis la Conférence nationale souveraine des années 1990. Une constitution, fruit du consensus entre belligérants, a été adoptée et promulguée le 18 février 2006. Les institutions mises en place en cette circonstance sont fonctionnelles depuis près de dix ans et les Congolais jouissent des droits démocratiques qui y sont garantis ainsi que l’attestent la vivacité et la virulence du débat politique. Le pessimisme qui transparaît en filigrane dans l’article de Thomas-Greenfield ne se justifie plus pour ce pays.

D’autant plus qu’en droit congolais, la révision constitutionnelle qui est adossée sur la perfectibilité de l’œuvre humaine n’est pas hors-la-loi. Elle est même érigée en règle par l’article 218 de la Constitution tandis que la non révision des matières énumérés à l’article 220 en est une exception qui ne remet pas en cause le principe de la souveraineté du peuple rappelé par l’article 5 en vertu duquel nul ne peut imposer des limitations à “la souveraineté nationale (qui) appartient au peuple. Aucune fraction du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice”. Il appert dès lors clairement qu’une révision constitutionnelle, dans ses règles autant que ses exceptions, se justifie dès lors qu’elle fait rimer démocratie participative, facilitations institutionnelles, stabilité et développement.

Par ailleurs, les échéances électorales de 2006 et 2011 ont démontré à quel point le coût des élections peut être prohibitif pour un pays post conflit. Obliger la RDC à se payer quatre élections directes (locales, provinciales, législatives nationales et présidentielle) à chaque législature, c’est l’étrangler financièrement. Ce constat est aux sources de l’initiative gouvernementale d’une révision visant à faire élire les députés provinciaux au suffrage universel indirect. Certains dans l’opposition préféreraient autant que Linda Thomas-Greenfield le raccourci qui consiste à tendre la main à la générosité de la Communauté internationale pour le financement de nos scrutins. C’est une mauvaise habitude qu’il faut abandonner. Le peuple congolais n’a rien à gagner à continuer à soumettre  l’exercice de souveraineté par excellence que sont les élections à la charité internationale. Il se doit d’être réaliste au regard des promesses non tenues de plusieurs partenaires en 2006 et 2011. Le président Kabila dont la majorité est à mi-mandat n’a encore rien dit sur l’élection présidentielle dont la convocation interviendra fin 2016. Il se consacre à la réalisation du programme sur lequel il a été élu.

Plutôt que de chercher à importer des schémas institutionnels prêts-à-porter en Afrique, les vrais amis de ce continent feraient donc mieux de prendre en compte la corrélation qui existe entre tout système politique et son environnement socioculturel. La méconnaissance d’une telle corrélation a déjà causé d’innombrables victimes sur le continent, de la Libye à la Somalie en passant par le Soudan du Sud. Les Policy makers comme Madame Linda Thomas-Greenfield sont invités à dépassionner et “désidéologiser” le débat sur les constitutions africaines et à résister à la tentation de se substituer aux peuples du continent et à leurs institutions auxquels il faut laisser le choix des voies et moyens les plus efficients pour consolider la démocratie sans sacrifier la paix, la stabilité et l’unité de leurs  nations.
Jeuneafrique

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